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#1 05-10-2004 10:12:17

Monolecte
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Si vous avez aimé la réforme des retraites...


© Passant n°49 [juin 2004 - septembre 2004]
par Bertrand Larsabal


Si vous avez aimé la réforme des retraites, vous adorerez celle de la santé

Quelle est la différence entre la réforme des retraites décidée en 2003 et celle de la santé promise pour 2004 ? La première a été imposée par un coup de massue tel que la seconde puisse être inoculée sans réaction à des patients groggy. A part ça, les deux réformes sont sœurs jumelles.

La démolition sociale

On ne pouvait soi-disant continuer de payer les retraites par répartition pour cause de vieillissement de la population ; on ne peut pas payer la santé pour cause de surconsommation médicale en grande partie due au vieillissement.
On devait diminuer les retraites par répartition pour les compléter par des retraites par capitalisation ; on doit diminuer les remboursements de la Sécu et augmenter la part prise en charge par les mutuelles et surtout celle couverte par les assurances privées.
On ne pouvait augmenter progressivement les cotisations vieillesse à cause de prélèvements obligatoires déjà trop élevés, mais on devait accroître les primes versées aux fonds de pension ; on ne peut augmenter les cotisations maladie allant à la Sécu, mais rien ne s’oppose à ce que celles entrant dans les caisses des compagnies d’assurance montent en flèche, puisqu’elles ne seront pas comptées comme prélèvements obligatoires.

La Banque mondiale avait théorisé les retraites à trois piliers ; la méthode s’applique maintenant à une santé à trois vitesses.

Il est inutile d’allonger la liste des arguties proférées par les grands bourgeois du MEDEF et leurs idéologues appointés, siégeant à Matignon, dans les amphis universitaires ou dans les salles de presse. Le summum de l’hypocrisie fut de nier ce que les économistes au côté des salariés ne cessaient de répéter – à savoir que, de toute façon, notre problème était affaire de répartition des richesses puisque celles-ci ne provenaient que du travail – tout en appelant à remettre la France au travail en détricotant le peu qui restait de la tunique des 35 heures et en supprimant un jour de congé.

Sachant combien il lui serait périlleux politiquement d’engager un second bras de fer avec le mouvement social, le gouvernement a opté pour l’intimidation. Depuis des mois, il nous répète qu’il est anormal que les dépenses de santé augmentent plus vite que la richesse totale mesurée par le PIB. Et il prend des mesures sparadraps pour les limiter par petits bouts qui finiront par faire beaucoup : diminution des remboursements, catalogage de certaines dépenses en catégorie « confort » (si vous n’y voyez pas bien et si vos dents sont gâtées, eh bien vous ferez plus tard un vieux miro édenté), augmentation du forfait hospitalier, etc. L’ensemble porte un nom qui fleure bon le terroir « près des gens d’en bas » et la politique responsable : cela s’appelle la « maîtrise des dépenses de santé ». Qui ne souscrirait à cette maxime : « gouverner, c’est maîtriser » ?

On ruine la Sécu, on la déclare
en faillite et on privatise


La méthode est infaillible. On laisse le chômage monter, des cotisations sociales font donc défaut à la Sécu et, pour inciter à embaucher, on décide d’alléger encore les cotisations. C’est une aubaine dont profitent les patrons sans que l’emploi ne reparte. Le trou de la Sécu augmente de plus belle : plus de 10 milliards d’euros en 2003 et 13 prévus en 20041. Pendant ce temps, les dépenses augmentent car le chômage a un coût en termes de santé, car la population vieillit et car, de manière générale, la demande de soins s’accroît avec le développement. La France consacre près de 10% de son PIB à la santé et les libéraux crient « Au feu ! ». Quand on leur demande : « Pourquoi est-ce trop ? », ils se contorsionnent et hurlent : « Les dépenses de santé augmentent plus vite que le PIB et donc leur part dans celui-ci croît sans cesse ! » Surtout, ne leur posez pas la question : « Et alors ? », car ils tomberaient d’apoplexie et devraient se faire hospitaliser, grevant un peu plus les caisses de la Sécu.
Depuis deux siècles, c’est le propre du développement économique de conduire à une baisse relative de certaines dépenses et à une hausse des autres. Essentiellement, une baisse des dépenses alimentaires et de l’habillement, et une hausse des dépenses en biens industriels et services. Et le mouvement s’accélère à l’époque contemporaine : de 1960 à 2000, le premier poste a baissé de 38,3% à 18,1% de la consommation des ménages français, tandis que celui des biens industriels et du logement a progressé de 28,9% à 38% et que celui des services est passé de 32,8% à 44%2.

Les libéraux s’étonnent-ils et s’émeuvent-ils de la croissance exponentielle des dépenses d’automobile et de téléphone mobile ? Non, ils s’en félicitent ! Pourquoi ameutent-ils la population au sujet de la croissance des dépenses de santé ? Veulent-ils que nous nous soignions moins ? Certes pas, ils sont d’un naturel bon et généreux, souvent bien-pensants et même parfois charitables. Et puis, ils n’oublient pas que les dépenses de la Sécu sont les profits des industries pharmaceutiques et les revenus confortables des grands patrons de la médecine.

Alors ? Les dépenses de santé sont socialisées, c’est-à-dire prises en charge par la collectivité, et elles aboutissent à une légère redistribution des revenus, bien modeste il est vrai, mais suffisante pour être intolérable aux yeux des classes possédantes dont la rapacité croît depuis qu’elles ont pris conscience que le tournant néolibéral
des années 1980 les avait enrichies. « [Les interventions des assurances sociales] n’ont pas en effet principalement pour effet d’opérer une redistribution entre individus différents, mais une redistribution des individus à eux-mêmes à un autre point du temps (retraites), ou dans un autre état (maladie) », explique un expert3. Traduction : la Sécu avait forgé le principe : « De chacun selon ses moyens à chacun selon ses besoins » ; le libéralisme veut imposer celui-ci : « l’assurance en fonction du risque que l’on choisit de couvrir ».

Le scénario est le suivant : ruine de la Sécu, puis privatisation en permettant aux capitaux privés des compagnies d’assurance de pénétrer plus amplement dans le système de santé. Le patron d’Axa, Claude Bébéar, déclare sans ambages : « Faut-il tout socialiser ? Je ne le pense pas, car il faudrait doubler la CSG en vingt ans. » Et il préconise la concurrence du privé contre l’assurance maladie « dès le premier franc »4. La Fédération française des sociétés d’assurance propose un modèle de Sécurité sociale recentrée sur les maladies de longue durée, les plus coûteuses, tandis que les assurances privées pourraient prendre en charge dès le premier euro les remboursements de l’optique, du dentaire, des prothèses auditives et des petits appareillages. La justification est astucieuse : il n’y a pas dans ces secteurs de « tarifs opposables », car le barème de remboursement de la Sécu est déjà actuellement très éloigné des prix pratiqués, en dehors des soins dits « conservateurs » comme le traitement des caries dentaires. Astucieux et stratégique car les compagnies d’assurance veulent prendre de vitesse les mutuelles. Les capitalistes espèrent faire coup double : réduire la part des dépenses de santé socialisées dont profitent trop les pauvres et élargir le champ d’investissement des groupes financiers.

Panier de soins pour les uns,
corbeille des nantis pour les autres


La pilule est difficile à avaler. Aussi faut-il lui dorer l’emballage. Celui-ci a pour nom « panier de soins » qui désigne selon le MEDEF « la liste de services et de soins de santé dont le remboursement est garanti à 100% par l’assurance maladie obligatoire »5. Au-delà du panier de soins, place à l’assurance privée. La Confédération Française de la Démolition du Travail approuve : « La garantie d’accès qu’il convient d’offrir à tous les résidents français ne peut couvrir tous les soins. Il importe de définir avec précision et clarté les contours de la solidarité nationale. C’est la problématique dite du panier de soins qui devra tôt ou tard s’imposer ».6 Après la trahison contre les retraités, celle contre les chômeurs « recalculés » et celle contre les intermittents du spectacle, bientôt la trahison contre les malades. La potion est chaque fois la même : c’est le rationnement.

Le rationnement bien fait, c’est celui qui est sélectif. Pourquoi la Banque mondiale justifie-t-elle la protection sociale à trois vitesses ? Pour mettre en adéquation celle-ci avec la politique de segmentation du salariat organisée depuis deux décennies. La déconstruction de l’Etat-providence est liée à l’éclatement du rapport salarial tel que l’avait normalisé la deuxième moitié du XXe siècle. Le droit commercial et le droit fiscal sont alors appelés à remplacer le droit du travail amoindri. Les chômeurs et les salariés pauvres et précaires sont réduits à entrer progressivement dans les dispositifs de l’assistance publique (PARE puis RMA, CMU, et, pour finir la vie, le minimum vieillesse). A l’autre bout du salariat, les salariés très qualifiés à qui l’on fait miroiter les miracles de la sphère financière sont attirés comme les papillons sur la lampe par les fonds de pension, l’épargne salariale, les stocks-options et toutes les formules d’assurances. « Et au milieu, pris en tenailles, le salariat standard avec son panier de soins et sa retraite par répartition évolue entre la menace de la dégradation sociale (la chute dans le précariat) et la promesse de la promotion et de l’accession au statut de rentier de la finance. »7

Vis-à-vis des pauvres, les gouvernants se donnent un alibi démocratique avec la garantie universelle qui est un filet de sécurité permettant de contrôler les dépenses de santé. Et, simultanément, cela ouvre le champ libre aux assurances privées destinées à donner aux titulaires de hauts revenus la possibilité de compléter le panier de soins dont le devenir est programmé à la baisse. Encadrées par ces bornes à chaque extrémité, les dépenses socialisées seront alors « maîtrisées ». La santé sera coincée entre l’assistance et la marchandisation8.

L’universalisation des droits se fait au rabais pour ne pas que l’impôt augmente après avoir diminué les cotisations et pour ne pas que les précaires s’installent dans un semi-confort et pour qu’ils soient confrontés aux dures lois du marché, toujours formatrices… Il faut être attentif aux déclarations du Baron Seillière car il a une vue juste de la lutte des classes qu’il mène. Après un premier hurlement de circonstance, il s’est réjoui de la décision du tribunal de Marseille en faveur des chômeurs « recalculés » car elle consacre la notion de « contrat individuel » entre le chômeur et l’UNEDIC que lui-même et Notat avaient imposée avec le PARE. Et il a félicité Raffarin et Borloo d’annuler la dette de l’UNEDIC envers l’Etat pour éviter d’augmenter les cotisations. Or, si l’on veut financer une protection sociale digne de ce nom, on sera obligé d’augmenter le taux de cotisations sociales patronales ou d’élargir l’assiette des cotisations, pour, d’une manière ou d’une autre, accroître la part de la masse salariale dans la valeur ajoutée. Et Seillière a bien compris le truc : « C’est fini, on ne règlera plus aucun problème social avec des hausses de cotisation. »9

L’enjeu de la bataille sur la santé est le même que celui sur les retraites : s’opposer au triomphe du capitalisme et de son idéologie du tout marché. Le marché est supposé pouvoir réguler à lui tout seul la société.
« La société n’existe pas, il n’y a que des individus » disait Mme Thatcher. Il faut donc détruire les structures solidaires et leurs représentations collectives. Le contrat individuel doit remplacer la loi et les conventions collectives. Le marché est supposé supérieur non seulement économiquement mais aussi politiquement.
Dans ce cadre, il n’existe que des dettes privées que la monnaie éteint. Les dettes sociales, collectives, sont délégitimées car la liberté, pour les libéraux, c’est de ne pas avoir de dettes, de ne devoir rien à personne10. Ainsi, les dépenses publiques sont-elles vécues comme parasitaires de la liberté individuelle. L’idée de solidarité entre les générations, entre les bien-portants et les malades, est insupportable.

Pour les idéologues du MEDEF, il s’agit donc de promouvoir la « société du risque ». Denis Kessler se lâche : « Le risque est une nouvelle valeur morale […] C’est notre matière première. » François Ewald bégaie : « La Sécurité sociale crée la maladie. » Malthus disait il y a deux siècles : « L’aide aux pauvres crée les pauvres. » Et le FMI aujourd’hui : « Les retraites par répartition sont dangereuses car elles créent trop de sécurité dans le corps social. »
On a compris qu’il s’agit de faire endosser tous les risques par les plus fragiles. Tandis que les actionnaires attendent leur rente. Marchandisation rime avec appropriation et privatisation. Ainsi va la Bourse. La vie, elle, se contenterait de solidarité et de démocratie.
A suivre…
______________________________

(1) Voir B. Larsabal, « La bourse ou la vie : Il y a un déficit ? Cherchez l’excédent ! », le Passant Ordinaire, n° 47, octobre-novembre 2003.
(2) INSEE, La Consommation des ménages, 2001, cité par M. Husson, Les Casseurs de l’Etat social, Des retraites à la Sécu : la grande démolition, Paris, La Découverte, 2003, p. 41.
(3) Conseil d’analyse économique, Fiscalité et redistribution, Rapport de F. Bourguignon, n° 11, 1998, p. 7. L’auteur justifie ainsi la diminution de la redistribution en ne se rendant même pas compte qu’il dit une ânerie : il croit que le retraité par capitalisation récupère son magot placé depuis longtemps alors qu’il ne fait que prélever son capital sur le travail du moment ; et il croit que le malade récupère ses cotisations versées il y a six mois ou dix ans alors que les soins lui sont assurés par les actifs du moment.
(4) C. Bébéar, in « Les Présidents d’Axa et de la Mutualité au colloque Dialogues-« Libération » : Quel avenir pour la Sécurité sociale ? », Libération, 29 avril 2004.
(5) MEDEF, « Pour une nouvelle architecture de la Sécurité sociale », novembre2001,http://www.medef.staging/media/upload/608_FICHIER.pdf, p. 7-8.
(6) Claude Le Pen, « Systèmes de santé : des pistes pour la réforme », La Revue de la CFDT, juin 2002, cité par M. Husson, op. cit., p. 55.
(7) M. Husson, op. cit., p. 53.
(cool Voir P. Concialdi, « Pour une économie politique de la protection sociale », Revue de l’IRES, n° 30, 2, 1999, http://www.ires-fr.org/files/publications/revue/r30/
chap7.pdf.
(9) E.A. Seillière, « Ce dossier a été traité politiquement avec intelligence », Le Monde, 5 mai 2004, propos recueillis par R. Barroux.
(10) Voir J.-M. Harribey, La Démence sénile du capital, Fragments d’économie critique, Bègles, Ed. du Passant, 2e éd. 2004, chapitre 20.
Bertrand Larsabal


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